Les grands personnages

Le parrain des templiers

Bernard de Clairvaux, le parrain des Templiers

 

Né en Bourgogne, Bernard entre à l’abbaye de Cîteaux en 1113. Il a environ 25 ans lorsqu’il fonde, deux ans plus tard, l’abbaye de Clairvaux, à l’est de Troyes, près de Bar-sur-Aube.

Personnalité la plus influente du concile de Troyes, il rédige, à la demande d’Hugues de Payns, un texte légitimant le fait qu’un religieux puisse porter l’épée et donner la mort : c’est le De laude novae militiae, ou Éloge de la nouvelle chevalerie. Personnalité importante et écoutée, Bernard intervient dans les affaires publiques pour défendre les droits de l’Église, et conseille princes et papes. En 1145, il prêche, à Vézelay, la deuxième croisade.

Fille de Cîteaux, l’abbaye de Clairvaux essaima dans tout l’Occident. Elle est la mère de plus de 169 abbayes en 1153 à la mort de saint Bernard, canonisé en 1174.

Les principaux grands-maîtres

Hugues de Payns, le premier grand maître

Chevalier champenois, Hugues, seigneur de Payns, surveille, du haut de son château, les boucles de la Seine, en aval de Troyes, pour son seigneur, le comte Hugues de Champagne.En 1113, il quitte femme, enfants et seigneurie. Engagé aux côtés du comte Hugues 1er de Champagne, il part pour l’Orient, défendre la Jérusalem chrétienne. En Terre sainte, Hugues de Payns met son épée au service des chanoines du Saint-Sépulcre, gardiens du Tombeau du Christ. Afin de protéger les pèlerins qui se rendent à Jérusalem, il constitue, vers 1118-1120, une compagnie de chevaliers, les « Pauvres chevaliers du Christ ».Baudouin II, roi de Jérusalem, propose à Hugues de Payns et à son compagnon d’armes, le Flamand, Godefroy de Saint-Omer, d’installer leur quartier général sur le site de l’ancien Temple de Salomon, d’où le nom de chevaliers du Temple ou Templiers.De retour en Occident, Hugues de Payns entreprend une longue chevauchée sur les routes de France, d’Angleterre et d’Écosse afin d’engager de nouvelles recrues, d’acquérir des biens et des terres qui seront à l’origine des commanderies, dont celle de Payns édifiée sur ses propres domaines.C’est à sa demande que le pape Honorius II organise un concile à Troyes, en 1129, afin d’établir une règle pour l’ordre du Temple.  Alors étoile montante de la chrétienté, Bernard de Clairvaux, abbé cistercien de Clairvaux, y eut un rôle prépondérant. Vêtus d’un manteau blanc à croix rouge cousue sur l’épaule, les chevaliers du Temple adoptent des principes de vie monastique, prononçant les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance.En 1130, Hugues de Payns regagne la Terre sainte où il meurt six ans plus tard.

Guillaume de Beaujeu, dernier grand maître en Terre-Sainte

 

Membre d’une puissante famille du Beaujolais et apparenté à Saint-Louis et à Charles 1er d’Anjou, Guillaume de Beaujeu entre dans l’Ordre des Templiers aux alentours de 1250. On trouve sa trace en Terre-sainte en 1261, quand il est fait prisonnier lors d’une expédition contre des Turcomans et racheté contre rançon avec d’autres frères. Guillaume de Beaujeu est en Sicile lorsqu’il est élu maître de l’Ordre du Temple, le 13 mai 12731. Il participe d’abord au deuxième concile de Lyon où il défend son ordre et s’oppose au projet de croisade de Jacques Ier d’Aragon. Le 11 août 1274, il est en Angleterre où il récupére les sommes considérables empruntés par Édouard 1er d’Angleterre.

 

En septembre 1275, il arrive à Saint-Jean d’Acre, dernier des établissements chrétiens en Orient avec Tripoli, Tyr et Beyrouth. Il fait en sorte d’empêcher Hugues III de Chypre, d’accéder au trône de Jérusalem transféré à Saint-Jean d’Acre, préparant l’arrivée de Charles d’Anjou, le frère de Saint-Louis, à la tête de la ville. Il entretient des relations cordiales avec les Mamelouks afin éviter une nouvelle vague de conquête. La Terre sainte bénéfice d’un répit mais les efforts de Guillaume de Beaujeu sont réduits à néant lorsque les Vêpres siciliennes viennent ruiner les entreprises de Charles d’Anjou en Méditerranée. Guillaume de Beaujeu, désormais seul vrai maître d’Acre, permet le retour les Lusignan de Chypre sur le trône de Jérusalem et appelle de ses vœux une nouvelle croisade, en vain. Un grave incident entre des pèlerins inconscients et des musulmans d’Acre rallume la guerre avec l’Egypte. En 1291, le sultan d’Égypte Khalil al-Ashraf met le siège devant la ville et bombarde la ville avec des catapultes, des mangonneaux et des balistes. 

 

Bien qu’ayant tout fait pour éviter cette situation, Guillaume de Beaujeu participe activement à la défense du réduit franc en conduisant plusieurs contre-attaques. Le 15 avril, Guillaume de Beaujeu tente une sortie à la tête des Templiers, afin d’incendier une des catapultes. Ils surprennent les avant-postes mais leurs chevaux trébuchent dans des cordages et les Mamelouks se ressaisissent. Les Templiers se replient difficilement. Ils tentent une nouvelle opération quelques jours plus tard, sans succès. 

 

Lorsque les Mamelouks rompent les remparts de Saint-Jean d’Acre le 17 mai 1291, Beaujeu se rend lui-même à la brèche, accompagné de quelques Templiers et du grand maître des Hospitaliers, Jean de Villiers. Blessé d’une flèche sous l’aisselle, le 18 mai 1291, il doit se retirer vers les lignes arrière. Apostrophé par un groupe de chevaliers pisans qui le supplient de ne pas fuir, il s’écrie : «Seigneurs, je ne peux plus, car je suis mort, voyez le coup». Ramené à la commanderie, il meurt quelques heures plus tard. Il est enterré dans la chapelle du Temple. Son successeur, Thibaud Gaudin, organise l’évacuation des trésors du Temple.

Jacques de Molay, célèbre inconnu

Né à la fin des années 1240 à Molay, le futur grand-maitre est issu d’un modeste lignage noble. Après son entrée dans l’Ordre à Beaune, Jacques de Molay passe très tôt en Terre sainte, alors sous pression des Mamelouks. Il y accumule une expérience et une connaissance fine de l’Orient. Sans responsabilités importantes, il critique néanmoins son prédécesseur, Guillaume de Beaujeu, qui a choisi l’apaisement avec les Sarrasins. Après la chute d’Acre, en mai 1291, où Beaujeu meurt héroïquement, Jacques de Molay voit son rôle monter en puissance. À Chypre, fin 1291, il annonce son intention de réformer l’Ordre dirigé par Thibaut Gaudin. Son charisme lui vaut d’être élu grand-maître à la mort de ce dernier le 16 avril 1292, dans une période de difficultés majeures pour l’Ordre.

Sous ses ordres, depuis Chypre, les Templiers attaquent Alanya et Alexandrie. Cherchant des soutiens, Jacques de Molay s’embarque pour l’Europe à l’hiver 1292-1293. Il rencontre Boniface VIII, entre 1294 et 1295, séjourne en Angleterre, en Aragon ou en Italie et travaille trois ans durant à relancer la Croisade. A son retour à Limassol, il s’engage en Arménie en 1298-1299, puis en Syrie. L’alliance avec les Mongols de Perse éveille de grands espoirs, mais cette coalition d’ennemis des Mamelouks échoue à Rouad, à l’automne 1302. 

Jacques de Molay accepte la convocation de Clément V au printemps 1306, pensant mettre sur pied la Croisade. Mais sitôt débarqué, l’affaire du Temple éclate : des rumeurs imputent à ses coreligionnaires des crimes contre la foi. Au printemps 1307, Jacques de Molay rencontre le Pape à Poitiers, puis Philippe le Bel à Paris. Il prie ensuite Clément V d’ouvrir sa propre enquête. Bien que conscient du danger, il n’anticipe pas l’arrestation des Templiers le matin du 13 octobre 1307. Assistant la veille aux funérailles de la belle-sœur du roi, il est arrêté avec les siens au Temple de Paris.

Isolé et torturé, il reconnait avoir renié le Christ à son entrée dans l’ordre et réitère ses aveux devant un parterre de clercs. Clément V reprend la main le 22 novembre en dépêchant deux cardinaux à Paris. Devant eux, Jacques de Molay se rétracte mais le pouvoir capétien l’éloigne à Corbeil. Transféré à Chinon où il est interrogé par trois cardinaux, le 20 août 1308, il leur redit avoir renié le Christ. À l’automne 1309, devant la Commission Pontificale, il s’en remet par trois fois au Pape.

Au concile de Vienne, en mars 1312, Clément V supprime l’ordre tout en l’exonérant d’hérésie. Le 11 mars 1314, trois cardinaux signifient à Jacques de Molay sa peine d’emprisonnement perpétuel. Il fait front et proclame l’innocence du Temple, avec Geoffroy de Charnay. Tenus pour relaps, il sait qu’ils seront livrés au bûcher. Poussant la stratégie mémorielle jusqu’à sacrifier sa vie et appelant au jugement de Dieu –sans idée de malédiction–, il offre sa mort en exemple.

Les comtes de Champagne

Né aux environs de 1074, Hugues est le troisième fils du comte Thibaud Ier et de Adèle de Valois. En 1089, son demi-frère Étienne-Henri devient comte de Blois et de Meaux. Quatre années plus tard, le 1er janvier 1093, Hugues hérite de son autre frère Eudes IV des comtés de Troyes, Vitry et Bar-sur-Aube. Hugues, premier à prendre officiellement le titre de comte de Champagne, est aussi le premier à s’installer à Troyes.

 

En 1093, Hugues épouse Constance de France, fille du roi Philippe 1er, union qui sera annulée à la Noël 1105, le couple n’ayant pas eu d’enfant. En 1104, il est victime d’une agression. Il part ensuite trois années pour un premier séjour en Palestine (1104-1107). Revenu en Champagne, Hugues se remarie avec Élisabeth de Varais, fille d’Étienne le Hardi et nièce de Mathilde duchesse de Bourgogne. Bientôt cependant il cherche à la répudier, au point que la comtesse doit demander l’aide de l’évêque de Chartres, Yves, pour que celui-ci fasse comprendre au comte qu’un mari ne peut se séparer de sa femme sans le consentement de celle-ci, même pour entrer en religion. En août 1114, Hugues de Champagne accomplit un nouveau voyage outremer en compagnie de son vassal Hugues, seigneur de Payns, qui s’établira à Jérusalem et fondera vers 1119-1120 la milice des Pauvres chevaliers du Christ, embryon du futur ordre du Temple.

 

De retour en 1116, le comte gouverne encore sa principauté pendant une dizaine d’années, favorisant l’expansion de la toute nouvelle abbaye de Clairvaux fondée par saint Bernard en 1115, et reportant son affection sur son neveu, Thibaut de Blois, qu’il considère comme son héritier.

 

Mais voici qu’en 1123, Elisabeth de Varais donne naissance à un fils, Eudes. L’enfant n’a que deux ans lorsque Hugues prend prétexte d’une dispute avec son épouse pour se faire déclarer incapable de procréer par les médecins. S’estimant désormais libéré des liens du mariage, il chasse Elisabeth et Eudes, transmet son héritage à Thibaut de Blois et rejoint l’ordre du Temple en Terre sainte. Devenu simple frère de l’Ordre, Hugues meurt en Orient, après 1130.

Fils aîné d’Étienne-Henri, comte de Blois et de Meaux, et d’Adèle de Normandie, fille de Guillaume le Conquérant, Thibaud est né en 1093. À son avènement, en 1102, la tutelle de ses comtés de Blois et de Chartres est assurée par sa mère. Adoubé en 1107, Thibaud gouverne personnellement son domaine à partir de 1109.

 

En 1125, Thibaud II hérite de son oncle Hugues du comté de Champagne et réalise pour la dernière fois l’union de tous les territoires familiaux : ses possessions s’étendent de la Marne à la Loire et menacent à l’ouest et à l’est le domaine royal. Plus anglo-normand que français, Thibaud apporte son soutien à Henri Ier Beauclerc contre le roi Louis VI. En 1120, le naufrage de la Blanche-Nef, dans lequel meurent les deux fils du roi d’Angleterre, fait de lui le plus proche héritier mâle de la couronne d’Angleterre. Mais, à la mort d’Henri Beauclerc en décembre 1135, c’est son frère cadet Étienne de Blois qu’élisent les barons anglais.

 

En 1141, deux affaires détériorent les relations entre le comte et le roi Louis VII. La première concerne le choix pour le siège archiépiscopal de Bourges de Pierre de La Châtre par Innocent II, choix qui s’est fait au détriment du candidat du roi de France. Le pape sacre son évêque qui se voit interdire l’entrée de sa cité par le Capétien. Pierre de La Châtre, à l’invitation de Thibaud II, trouve alors refuge en Champagne. À ce litige vient s’ajouter le problème posé par le remariage du sénéchal Raoul de Vermandois avec Alix, sœur de la reine Aliénor d’Aquitaine. Un synode d’évêques prononce le divorce de Raoul et de sa première femme Éléonore, nièce de Thibaud II, pour cause de parenté. Le comte de Champagne fait appel au pape qui excommunie Raoul, Alix et les évêques qui ont prononcé le divorce tandis que l’interdit est jeté sur le royaume de France. Louis VII, irrité par l’attitude de son vassal, prend comme prétexte la majorité du fils contesté de Hugues, Eudes de Champlitte, pour réclamer en son nom l’héritage comtal. Le roi envahit alors la Champagne et met le siège devant Vitry qu’il brûle en janvier 1143. Louis VII, marqué par cet épisode tragique dans lequel périt une grande partie de la population de la ville, prendra la croix en mars 1146.

 

Devenu l’ami de saint Bernard, Thibaud II favorise le développement de l’abbaye de Clairvaux ainsi que celles de Pontigny et de Trois-Fontaines tandis qu’il prend l’initiative de la fondation sur son domaine de la commanderie de Barbonne, près de Sézanne, dès 1127. Le 13 janvier 1129, il participe au concile de Troyes avec son sénéchal André de Baudement.

 

Sous son principat se développent les foires de Champagne, dont les premières mentions remontent au XIe siècle.

Les acteurs du procès

Philippe le Bel

 

Philippe IV, dit le Bel, offre l’image contrastée d’un monarque à la fois puissant et déconcertant. Quand il est sacré, le 5 octobre 1285, il s’engage à défendre la paix et la justice, et à combattre les hérétiques. Il voyage peu, développe une administration efficace, s’entoure de légistes qui feront belle carrière grâce à lui, et de conseillers qui vont se dévouer à sa cause corps et âme : Pierre Flote et Enguerrand de Marigny, les plus puissants, Guillaume de Nogaret, Guillaume de Plaisians un ton en dessous mais efficaces et fidèles… Ainsi que de Lombards, qui se rendent indispensables pour trouver des solutions à ses problèmes financiers.

 

En une quinzaine d’années, il remet au pas ses vassaux, écarte le roi d’Angleterre, instaure de nouveaux impôts, soumet le clergé. Peu à peu, il achève la centralisation opérée par son grand-père Saint-Louis. La monarchie devient absolue, remet les nobles à leurs places, repousse les droits du clergé.

 

Le tournant du siècle annonce pourtant des orages. L’évolution profonde de la société et la pénurie des métaux précieux entraînent des tensions monétaires que les financiers de l’époque peinent à comprendre et à réduire. La concurrence des villes italiennes et de l’Europe du Nord met à mal les piliers de l’économie du royaume. Le développement des impôts directs accable la population sans régler le déficit des finances.

 

Philippe le Bel fera d’abord payer les Lombards. Puis, poursuivant la politique antijuive de Philippe Auguste et de Saint Louis, il pourchassera les Juifs. Avec toujours la même raison : renforcer le pouvoir royal, affirmer le roi en chef religieux et bien sûr renflouer les caisses du royaume, au prix de méthodes iniques. Le résultat est mitigé. Certes les Templiers sont anéantis, mais la cruelle défaite des Éperons d’or décime la chevalerie française. L’Aquitaine reste anglaise et la guerre de Cent Ans est en germe. Quant à la centralisation monarchique, elle mécontente les grands seigneurs, révolte les bourgeois et retombe sur les paysans.

 

Le conflit avec la papauté prend, lui, un tour violent. Les sujets d’affrontement ne manquent pas. Il est tout autant question de finances (le roi perçoit des impôts que le clergé estime devoir lui revenir) que de supériorité du temporel sur le spirituel, ou de Croisade (les conseillers du Roi insistent sur la nécessité de la fusion des ordres, pour une plus grande efficacité sur le terrain). Quand les dénonciations contre les Templiers commencent à poindre, Philippe le Bel saisit le prétexte pour peser contre le Pape et régler la question de la concurrence entre les ordres. Pris en étau dans cette lutte qui les dépasse, les Templiers, plus à l’aise avec le maniement des armes qu’avec celui des concepts juridiques, ne sauront pas répliquer efficacement aux attaques.

 

Le roi s’appuie sur un clergé français accommodant. Il joue aussi sur l’opinion, en convoquant les États, une nouvelle assemblée réunissant les trois ordres de la société : le clergé, la noblesse et la bourgeoisie des villes. Philippe le Bel cherche ici l’appui de tous ses sujets pour légitimer sa lutte contre le pape. Il fera de même plus tard avec les Templiers.

 

Cela aboutira en 1303 à l’attentat d’Anagni, pendant lequel le pape est menacé physiquement par Guillaume de Nogaret et ses alliés italiens. Benoît VIII opportunément décédé, son successeur Benoît XI mort moins d’un an après est remplacé par le Bordelais Clément V, souvent malade mais plus coriace que prévu.

 

En nommant Philippe de Marigny, frère de son proche conseiller Enguerrand, à la tête du puissant archevêché de Sens, qui a barre sur Paris à l’époque, il sait que ce dernier fera ce qu’il faut pour faire cesser la contre-attaque des défenseurs des Templiers : 54 Templiers sont brûlés à Paris le 10 mai 1314, parce qu’ils ont accepté de défendre l’ordre. Pourtant, l’obstination du roi contre les Templiers ne rencontre qu’un succès mitigé hors de France…

 

Après sa mort, le pays connaît en 1315 une annus horribilis : famine épouvantable, comptes publics dégradés, monnaie dévaluée. Sans parler des règlements de comptes violents dans son entourage. À l’orée de son règne, l’ancien chambellan de son père, Pierre de la Brosse, avait été pendu par les nobles. Le 13 avril 1315, le propre chambellan de Philippe le Bel, Enguerrand de Marigny, dernier procureur des Templiers, se balance aux plus hautes fourches patibulaires, à peine cinq mois après la mort du roi, décédé les yeux ouverts le 29 novembre 1314 après ce qui ressemble à un AVC, pendant une chasse à courre en forêt d’Halatte.

Clément V

 

Né à Villandraut en Gironde, porté au trône de Saint-Pierre après une élection houleuse, Clément V, de son vrai nom Bertrand de Got, est sur ses terres quand il apprend la nouvelle. Le pontificat de Boniface VIII s’est terminé dans la confusion d’Anagni. Le pape suivant, Benoît XI, n’a régné que huit mois. Les cardinaux réunis en conclave à Pérouse sont traversés par les violents conflits entre cardinaux français et italiens, entre pro et anti-Boniface VIII, entre pro-Orsini et pro-Colonna… Ils décident d’apaiser les tensions en élisant un candidat hors du Sacré Collège, accepté par le roi de France et agréé par Francesco Caetani, neveu de Boniface VIII. On leur souffle le nom de Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, donc ni Italien, ni cardinal… ni même présent.

 

Souhaitant recevoir ses insignes à Vienne, il accepte finalement la suggestion pressante du roi de faire la cérémonie à Lyon. En mars 1309, sous un froid glacial, tandis qu’il caracole sur son beau palefroi blanc, la chute d’un mur au passage du cortège se solde par 12 morts, dont celle du duc de Bretagne. Le pape tombe de son cheval et perd dans sa chute un diamant de 6 000 florins, que ses gardes ont toutes les peines du monde à retrouver.

 

Pour éviter un conflit avec le roi de France, il s’installe en mars 1309 à Avignon, ville d’un de ses vassaux, le comte de Provence, cousin du père de Philippe le Bel. De l’autre côté du pont Saint-Bénezet, la tour de Philippe le Bel à Villeneuve-lès-Avignon lui rappelle la présence oppressante du souverain.

 

Averti par Philippe le Bel des soupçons contre les Templiers, Clément V va rester sur sa position de principe : les Templiers n’obéissent qu’au pape, seul à même de les juger. Par la bulle Pastoralis præminentiæ, fulminée en novembre 1307, il ordonne l’arrestation de tous les Templiers de la chrétienté et la mise sous séquestre de leurs biens, à l’exception des Templiers de la péninsule Ibérique. Tout en jouant la montre face un roi vindicatif, il crée en aout 1308 des commissions diocésaines, chargées d’enquêter sur les agissements des Templiers, et des commissions pontificales, chargées de juger l’ordre du Temple en tant que tel. Ces dernières doivent livrer leur rapport lors du concile convoqué à Vienne en 1310, qui décidera de leur sort.

 

Il convoque les Templiers à Poitiers pour les faire interroger par ses envoyés. Le roi lui envoie du menu fretin et retient les chefs à Chinon, sous prétexte de fatigue… Bien des années après, on apprendra qu’ils avaient été absous par les envoyés du pape, en août 1308. Prenant conscience que Philippe le Bel est le plus fort, le pape est, d’une façon ou d’une autre, contraint d’abandonner les Templiers à leur sort.

 

Le concile se réunit finalement le 16 octobre 1311, à Vienne. Les commissions pontificales, peu convaincues par le résultat des enquêtes, proposent que l’ordre soit réformé et non aboli. Le roi de France maintient la pression en s’y présentant le 20 mars 1312 à la tête d’une armée impressionnante. Les religieux prennent peur et proposent de supprimer l’ordre. Le pape doit prendre position dans un contexte très tendu.

 

Le 3 avril 1312, flanqué du roi de France et de son fils, le roi de Navarre, il prend solennellement la parole : « Considérant le grave scandale que ces choses [révélées] ont fait naître contre l’ordre, qui ne semblait pas pouvoir s’apaiser tant que cet ordre existait », il décide de sa suppression « non sans amertume et sans tristesse au cœur ». Mais il ajoute : « Nous réservons les personnes et les biens de cet ordre à l’ordonnance et disposition de notre siège apostolique. »  Le roi de France, qui avait saisi cette affaire pour s’ériger en gardien suprême de la foi, en lieu et place d’une papauté pusillanime, constate qu’il est parvenu à ses fins. Mais Clément V se réserve la dévolution des biens des Templiers et les confie aux Hospitaliers.

 

Les dignitaires de l’ordre doivent attendre le 22 décembre 1313 pour que Clément V, malade, charge trois cardinaux (Nicolas de Fréauville, Arnaud d’Aux et Arnaud Nouvel) de régler leur sort. Ces cardinaux, pressés d’en finir, décident de faire passer Jacques de Molay, Geoffroy de Charnay, Hugues de Pairaud et Geoffroy de Gonneville devant un concile composé d’eux-mêmes, de l’archevêque de Sens (Philippe de Marigny, frère d’Enguerrand…) et de divers prélats et docteurs en théologie et droit canon.

 

Le 18 mars 1314, sur le parvis de Notre-Dame, considérant que les Templiers ont « publiquement et ouvertement avoué leurs crimes » et persistent dans leurs aveux, attendant la clémence de Clément V, leur sentence tombe comme un couperet : selon le chroniqueur continuateur de Guillaume de Nangis, « Le lundi après la fête de saint Grégoire, ladite assemblée les condamna à une sévère et perpétuelle réclusion. » On connait la suite : Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay s’insurgent de cette décision et sont brûlés le jour-même comme relaps, par ordre du roi de France.

 

Atteint d’un cancer de l’intestin, Clément V tente d’apaiser ses douleurs en avaler des émeraudes pilées, sur le conseil de ses médecins. Ce remède étant pire que le mal, il s’éteint le 20 avril 1314, à Roquemaure, soit un mois après le bûcher  des Templiers. Sa dépouille est ramenée à Carpentras pour un hommage solennel. Le conclave s’y réunit le 1er mai 1314 pour élire son successeur et s’éternise deux mois car Français et Italiens se disputent sans trouver d’accord. Le 24 juillet 1314, mécontents de l’héritage de leur oncle, les neveux de Clément V, Bertrand de Got et Raymond Guilhem de Budos, pillent Carpentras et emportent le trésor de Clément V, 1 million de florins destinés à la croisade.

Guillaume de Nogaret

 

Né à Saint-Félix-de-Caraman, aujourd’hui Saint-Félix-Lauragais, dans une famille probablement cathare, Guillaume de Nogaret incarne à merveille ces légistes dont la carrière va être accélérée sous le règne de Philippe le Bel, qui s’appuie délibérément sur eux. Docteur en droit et enseignant en droit civil à Montpellier, ses talents de conseiller juridique lui permettent de se constituer une belle clientèle, qui va des bourgeois de la ville au roi de Majorque, en passant par l’évêque de Maguelonne. Il se fit remarquer par le roi, qui a besoin de légistes futés, le droit étant en pleine expansion, il entre au Conseil du roi et siège au Parlement en 1294. Il sera récompensé par son anoblissement en 1299.

Au côté d’Enguerrand de Marigny, qui règne sur les finances et cherche à mettre au pas les grands féodaux, Nogaret sera chargé de l’Église et de la papauté. Il s’agit de substituer le roi capétien au Pape dans la position de défenseur de la loi, suivant la formule de Guillaume de Plaisians « Le Roi de France est empereur en son royaume ». Pour commencer, il se fait la main sur les Lombards. Puis, Guillaume de Nogaret fait appliquer les arrêtés d’expulsion de juifs de France, avec les mêmes méthodes de sinistre mémoire qu’il utilisera pour les Templiers.

Devenu un des hommes de confiance de Philippe le Bel, il est responsable du tour brutal que prend l’entrevue avec le Pape Boniface VIII, lors du fameux « attentat d’Agnani » en 1303. Ce qui lui vaut une excommunication dont il sera finalement absous en avril 1311, contre des pénitences –neuf pèlerinages– dont il peut facilement se dispenser. Devenu garde du sceau, c’est lui qui orchestre le procès contre les Templiers. Il a donc les pleins pouvoirs pour mener une affaire qui, comme le notait ironiquement l’historien Ernest Renan, « demandait peu de scrupule, une imperturbable impudence et une longue pratique des subtilités de la chicane».

Il prépare le dossier d’accusation, supervise les arrestations et se saisit personnellement de Jacques de Molay à la tour du Temple à Paris. C’est lui qui rédige les trames écrites d’interrogatoires que les inquisiteurs n’ont plus qu’à suivre, tortures à l’appui. Il ajoute même sa présence intimidante à certains interrogatoires de l’inquisiteur Guillaume de Paris. Pour contrer la réaction du Pape Clément V, mis devant le fait accompli d’un procès qu’il aurait dû mener lui-même, il fait pression sur lui en opérant un amalgame entre les fautes imputées aux Templiers et les accusations posthumes d’hérésie portées contre Boniface VIII, dont il menace de faire brûler le cadavre.

Après le Concile de Vienne et la dissolution de l’ordre du Temple par un Clément V soucieux  de préserver l’institution pontificale, son influence sur le pouvoir royal décroit au profit d’Enguerrand de Marigny. Il meurt le 11 avril 1313, soit un an avant que la prétendue malédiction lui soit lancée par Jacques de Molay sur son bûcher.

Selon Ernest Renan, « Nogaret mérite surtout de compter entre les fondateurs de l’unité française, de ceux qui firent sortir nettement la royauté de la voie du Moyen Âge pour l’engager dans un ordre d’idées emprunté en partie au droit romain et en partie au génie propre de notre nation. Jamais on ne rompit plus complètement avec le passé ; jamais on n’innova avec plus d’audace et d’originalité… Mais il est fâcheux que ce triomphe de la raison d’État se soit produit avec un si grand débordement d’arbitraire. »